Devoir de Français - La vieille qui graissa la patte au chevalier Contrôle 1 Modèle 2 - Français 1ère Année Collège 1AC Semestre 2
Estula
Il y avait jadis deux frères, n’ayant plus ni père ni mère pour les conseiller au besoin 1 et sans nulle autre parenté. Leur amie était Pauvreté qui toujours restait avec eux ; on souffre en cette compagnie : il n’est pas pire maladie. Les deux frères dont je vous parle partageaient le même logis. Une nuit, mourant à la fois de soif et de faim et de froid, tous maux qui volontiers harcèlent ceux que Pauvreté asservit, ils se mirent à méditer comment ils pourraient se défendre contre Pauvreté qui les presse2.
Un homme qu’on disait très riche habitait près de leur maison. Ils sont pauvres, le riche est sot. Il a des choux dans son courtil3 et des brebis dans son étable. C’est chez lui qu’iront les deux frères : Pauvreté fait perdre la tête.
L’un accroche un sac à son cou, l’autre à la main prend un couteau. Tous deux se mettent en chemin. L’un, se glissant dans le jardin, entreprend, sans perdre un instant, de couper les choux du courti. L’autre s’en va vers le bercail4, fait si bien qu’il ouvre la porte et tout semble aller pour le mieux ; il tâte le plus gras mouton.
On était encore sur pied dans la maison : on entendit le bruit de l’huis5 quand il l’ouvrit. Le bourgeois appela son fils : « Va-t’en donc, dit-il, au jardin et regarde si tout va bien. Appelle le chien du logis. »
Le chien se nommait Estula, mais par bonheur pour les deux frères, il n’était pas à la maison. Le garçon, qui prêtait l’oreille, ouvre l’huis donnant sur la cour et crie : « Estula ! Estula ! » Du bercail le voleur répond : « Eh oui ! vraiment, je suis ici. » L’obscurité était profonde : le fils ne pouvait distinguer celui qui avait répondu ; mais il fut vraiment convaincu que c’était le chien qui parlait.
Aussitôt, sans perdre de temps, il revient droit à la maison où il arrive tout tremblant. « Qu’as-tu, mon cher fils ? dit le père. – J’en fais le serment sur ma mère, Estula vient de me parler. – Qui ? notre chien ? – Vraiment, ma foi ; et si vous ne voulez, m’en croire, appelez-le, vous l’entendrez. »
Le bourgeois veut voir la merveille6 et sur-le-champ va dans la cour ; il appelle Estula son chien. Le voleur, ne soupçonnant rien, répond : « Mais oui, je suis ici ! » Le bourgeois en reste interdit.
Autour anonyme, Fabliaux, adaptés par Jacques Rouger, coll. Folio, © ed. Gallimard.